L'Afrique à Hollywood (texte pris chez Evène)

Publié le par sista carol

Hollywood vient d’accoucher de deux très bons films sur l’Afrique, chacun dans un style différent. ‘Blood Diamond’, blockbuster engagé, est en salle depuis le 31 janvier. L’excellent ‘Dernier Roi d’Ecosse’, retour sur le règne d’Amin Dada, débarque quant à lui au cinéma le 14 février. Et si Hollywood savait enfin parler de l’Afrique ?


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“Depuis des années on ne nous propose que des rôles de clowns / Fini de rire, sentez l’odeur de la fumée / Brûle Hollywood, brûle / Les Noirs intelligents n’ont même plus l’air civilisé sur grand écran / Laissez-nous faire nos propres films comme Spike Lee / Brûle Hollywood, brûle.” (1) Ainsi parlait Public Enemy en 1990. Comment Hollywood pourrait-il alors être capable de deviser sur l’Afrique ? Depuis quelques mois, le cinéma américain semble avoir trouvé le talent et l’ouverture d’esprit nécessaires pour traiter de sujets africains actuels. Les deux films actuellement à l’affiche symbolisent à la fois cet intérêt nouveau, mais aussi une évolution dans la manière de traiter du continent noir - puisque c’est ici l’Afrique noire qui nous intéresse.


Comprendre l’Afrique

holly2.jpg‘Le Dernier Roi d’Ecosse’ se penche sur l’histoire du dictateur ougandais Idi Amin Dada, exemple paroxystique de la transition ratée vers l’indépendance qui a affecté trop de pays de la région. (2) Ce militaire met en place en 1971 un régime terrifiant qui conduira à la mort ou à la disparition de centaines de milliers d’Ougandais. Amin Dada tue tous ceux qui ne le soutiennent pas, attaque les pays voisins, assiste le détournement d’un avion d’Air France par l’OLP et met à la porte Indiens et Européens. Mais Amin Dada était aussi un charmeur, savait exploiter l’opinion publique. Envoyer des bananes à une Angleterre en crise, voilà le genre de geste que faisait l’ancien boxeur.Kevin McDonald impressionne par son intelligence et sa justesse. Manipulateur, mégalo, il incarnait aussi les rêves de grandeur d’un peuple et savait être enjoué, séduisant les médias internationaux. En allant au-delà des faits bruts pour tenter de cerner la personnalité du tyran, le film de Forest Whitaker joue merveilleusement sur l’ambiguïté du personnage, tantôt bon pote tantôt tueur implacable. L’Amin Dada du film jouit d’une profondeur dont un “méchant” bénéficie rarement à Hollywood, preuve que les mentalités ont changé. Le film a adopté le point de vue des Ougandais, même s’il est difficile à comprendre pour les Occidentaux, comme l’explique Forest Whitaker : “C’est toujours bizarre d’entendre les deux discours. Certains l’ont méprisé, d’autres l’ont idolâtré, mais beaucoup se rejoignaient pour dire qu’il était l’un des rares Africains à avoir joué un rôle sur la scène internationale.” Cette vision a d’autant plus pu s’affirmer que le film a été tourné en Ouganda, dans une Kampala encore hantée par Amin Dada. Le réalisateur a tenu à tourner sur les lieux et c’est aussi ce qui donne au film sa puissance : les acteurs locaux, les figurants, mais aussi le vrai parlement criblé de balles ont indéniablement alourdi la portée du ‘Dernier Roi d’Ecosse’.


Changement d’approche

Ces mutations montrent qu’Hollywood adopte une nouvelle approche dans ses films africains. Auparavant, hormis quelques films indépendants pertinents, les Américains accouchaient de récits navrants, comme cette ‘Chute du faucon noir’ (février 2002). L’intrigue ? Des Blancs perdus dans une Afrique hostile et sombre. Des Noirs anonymes comparables à la masse informe qui attaque le commissariat de Carpenter dans ‘Assault’, hostiles et inhumains comme les vagues de morts-vivants. L’essentiel, c’est qu’à la fin tous les petits Blancs soient sauvés de ce cauchemar noir, le reste on s’en fout, les Noirs ça fait peur, et une belle morale patriotique enrobe tout ça. Signalons au passage, puisqu’on parlait lieux de tournage, que ‘La Chute…’ avait été tourné au Maroc et non en Somalie, détail significatif de l’évolution actuelle. Du côté des films “engagés” traitant de l’humanitaire, nous n’avions droit qu’à des ‘Larmes du soleil’, avec de la grosse star et une histoire manichéenne au possible, sans oublier ces beaux soldats US héros au grand coeur. Bref, il y a peu, les films américains ne se basaient que sur le point de vue blanc et avaient la portée politique et historique d’une poutre.

Depuis quelques mois, on a pu constater l’arrivée en salle de films beaucoup plus ambitieux, plus lucides, plus critiques. ‘Hôtel Rwanda’ (mars 2005) traitait du génocide rwandais avec une pertinence d’autant plus admirable qu’il s’agissait d’événements datés d’il y a tout juste une dizaine d’années. La lâcheté des Occidentaux et de l’ONU y était rendue avec vigueur. On nous épargnait même le héros blanc de service en mettant Don Cheadle en tête d’affiche. ‘The Constant Gardener’ (décembre 2005) et ‘Lord of War’ (janvier 2006) ont eux habilement traité de deux maux qui gangrènent l’Afrique : les magouilles pharmaceutiques et le fléau des armes. ‘Lord of War’ a particulièrement excellé dans un ton cynique et politiquement incorrect. Ces trois films marquants et intelligents ont tous su à leur manière parler de l’Afrique actuelle comme Hollywood l’avait rarement fait, et resteront sans doute parmi les meilleurs films sur le sujet. Mais ils n’étaient que l’ébauche des nouveaux films africains.


Hollywood à la r
escousse de l’Afrique

holly3.jpgEn effet, même s’ils ont connu un succès public honnête, aucun de ces films n’a explosé le box-office. (3) Or pour porter un message et faire des bénéfices, ne perdons pas cet objectif de vue, il faut attirer le public. Et pour attirer le public, il faut des stars, évidemment. Car malgré Nicolas Cage, ‘Lord of War’ restait plus proche du film indépendant que du blockbuster, ce qui explique sans doute sa qualité. ‘Le Dernier Roi d’Ecosse’ bénéficie lui de la prestation habitée d’un Forest Whitaker au sommet de son art et de la puissance commerciale de la Fox. Mais si le film aide à comprendre l’Afrique, il n’a pas le but militant que s’est fixé ‘Blood Diamond’. Derrière ce titre provocateur, la Warner a franchi le pas et propose un “blockbuster engagé”.

La formule peut sembler absurde, mais rien ne définit mieux le dernier film d’Edward Zwick, résultat hybride de l’évolution actuelle. Leonardo DiCaprio, le budget solide, la jolie fille, l’aventure exotique, l’histoire d’amour qui flirte avec le conte pour midinettes, tous les atouts du film grand public sont réunis. Les défauts du genre apparaissent même clairement : un film sur l’Afrique avec un Blanc en tête d’affiche et un Noir relégué, malgré les efforts visibles du scénario, en faire-valoir du héros qui dirige les opérations. Pourtant le débat a eu lieu, le film a fait parler des diamants de guerre. La célèbre firme de diamants De Beers a dépensé 12 millions d’euros en publicité de peur de voir ses ventes s’effondrer à cause du film, se souvenant que la fourrure a disparu après une campagne de stars. Et les diamantaires de rappeler que depuis le processus de Kimberley de 2000, la traçabilité des diamants est fiable. Reste que la Côte-d’Ivoire, dans une situation comparable à la Sierra Leone dans le film, revend ses diamants ensanglantés en passant par le voisin ghanéen et que l’ONG Global Witness, qui a d’ailleurs participé au film, souligne que les trafiquants arrivent à faire certifier leurs diamants.


Les limites de l’humanitaire hollywoodien

Le message est passé, DiCaprio a fait parler du problème. Pourtant, il suffit de rester sur ‘Blood Diamond’ pour constater la fragilité d’un message. Dans le film, le drame des enfants-soldats prend autant de place que les diamants. Arrachés à leur famille, drogués et formatés, ces mômes à la kalachnikov plus lourde qu’eux massacrent des villages entiers. Ils sont aujourd’hui une composante primordiale des conflits africains, et représentent encore 300.000 soldats à travers la planète. Pourquoi seuls les diamants ont-ils retenu l’attention ? Les pierres précieuses sont sans doute un sujet plus glamour et les Occidentaux sont plus concernés par leurs bagues que par des petits Noirs. De même le problème du mercenariat est soulevé, mais n’a pas lui créé le débat. Pour un pan du film qui fait débat, c’est l’autre pan qui sombre dans l’oubli…

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L’Afrique a besoin d’aide, mais a-t-elle pour autant besoin d’Hollywood ? Le tournage sur place a des avantages : l’impact au niveau des emplois et de l’économie est réel, mais éphémère. Comme l’avait fait l’équipe de ‘The Constant Gardener’, celle de ‘Blood Diamond’ et la Warner ont eux créé un “Fonds Blood Diamond” pour venir en aide aux locaux ; une série d’actions est déjà programmée. Gageons néanmoins que les bénéfices du film seront largement supérieurs à ces investissements ponctuels et bien-pensants : dans le fond, ce sont encore les mêmes qui gagneront de l’argent, sur le malheur des autres de surcroît… La polémique est à la mode, Hollywood l’a bien compris et fonce sur le créneau. ‘Blood Diamond’ reste une fiction et sera sans doute vécue comme telle par une grande partie de ses spectateurs. Mais même si l’issue du blockbuster militant est incertaine, que la démarche soit sincère ou cynique, elle permettra tout de même une sensibilisation qui ne peut être que positive. Hollywood a en tout cas amorcé un tournant qui lui permet au moins de proposer des films plus justes sur l’Afrique, à l’image de ce passionnant ‘Dernier Roi d’Ecosse’. Mais à Los Angeles les bénéfices restent l’objectif évident, et si ces films marchent trop bien, les suivants risquent de basculer vers le commercial aux dépens de la polémique… Dans le doute, restons optimistes et attendons encore un peu avant de brûler Hollywood.


(1) ‘Burn Hollywood Burn’ de Public Enemy, extrait de ‘Fear of a Black Planet’, 1990.
(2) Depuis la décolonisation, on a recensé pas moins de 188 coups d’Etat sur le continent, sans compter les tentatives qui ont échoué.
(3) Seulement 170.000 entrées France pour
‘Hôtel Rwanda’, 620.000 pour ‘The Constant Gardener’, et tout de même plus de 1,3 million pour ‘Lord of War’.

 

Mikaël Demets pour Evene.fr - Février 2007

Publié dans Films

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