Allah n'est pas obligé

Publié le par sista carol

Terrible ! J’étais tombée dessus en faisant des recherches sur le net il y a un ou deux ans. J’avais aimé l’histoire alors je m’étais dit qu’il fallait que je le lise absolument.
Kourouma est malinké et ivoirien aussi. Dans ce livre, il raconte l’histoire d’un enfant soldat qui part au Liberia où il y a la guerre civile (le narrateur est aussi malinké).
L’auteur a écrit la suite dans « Quand on refuse on dit non » mais n’a pas pu terminer ce roman à tant. Le jeune soldat retourne en Côte d’Ivoire lors du début de la crise ivoirienne. Ce livre parle donc de la situation actuelle là-bas.

 

Aussi, « Monnè, outrage et défis », « Sous le soleil des indépendances », « En attendant le vote des bêtes sauvages » sont des classiques de cet auteur malinké.

 

Dur à lire, poignant, émouvant. L’enfant décrit sa situation comme si elle était normale. Il considère sa kalashnikov comme un jouet…


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Rien d’autre à ajouter si ce n’est que je respecte énormément cet écrivain… voici un extrait de « Allah n’est pas obligé » :


Je décide le titre définitif et complet de mon blablabla est Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas. Voilà. Je commence à conter mes salades.

 

Et d’abord… et un… M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce que je suis black et gosse. Non ! Mais suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même américain ; si on parle mal le français, on dit on parle p’tit nègre, on est p’tit nègre quand même. Ca, c’est la loi du français de tous les jours qui veut ça.

 

… Et deux… Mon école n’est pas arrivée très loin ; j’ai coupé cours élémentaire deux. J’ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l’école ne vaut pls rien, même pas le pet d’une vieille grand-mère. (C’est comme ça on dit en nègre noir africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le pet d’une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.) L’école ne vaut pas le pet de la grand-mère parce que, même avec la licence de l’université, on n’est pas fichu d’être infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières corrompues de l’Afrique francophone. (République bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption.) Mais fréquenter jusqu’à cours élémentaire deux n’est pas forcément autonome et mirifique. On connaît un peu, mais pas assez ; on ressemble à ce que les nègres noirs africains indigènes appellent une galette aux deux faces braisées. On n’est plus villageois, sauvages comme les autres noirs nègres africains indigènes : on entend et comprend les noirs civilisés et les toubabs sauf les Anglais comme les Américains noirs du Liberia. Mais on ignore géographie, grammaire, conjugaisons, divisions et rédaction ; on n’est pas fichu de gagner de l’argent facilement comme agent de l’Etat dans une république foutue et corrompue comme en Guinée, en Côte d’Ivoire, etc, etc.

 

… Et trois… suis insolent, incorrect comme barbe d’un bouc et parle comme un salopard. Je dis pas comme les nègres noirs africains indigènes bien cravatés : merde ! putain ! salaud ! J’emploie les mots malinkés comme faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père ou de ton père) Comme gnamokodé ! (Gnamokodé ! signifie bâtard ou bâtardise.) Comme Walahé ! (Walahé ! signifie Au nom d’Allah.) Les Malinkés, c’est ma race à moi. C’est la sorte de nègres noirs africains indigènes qui sont nombreux au nord de la Côte d’Ivoire, en Guinée et dans d’autres républiques bananières et foutues comme Gambie, Sierra Leone et Sénégal là-bas, etc.

 

… Et quatre… Je veux bien m’excuser de vous parler vis-à-vis comme ça. Parce que je ne suis qu’un enfant, suis dix ou douze ans (il y a deux ans grand-mère disait hui et maman dix) et je parle beaucoup. Un enfant poli écoute, ne parle pas la palabre… Il ne cause pas comme un oiseau gendarme dans les branches du figuier. Ca, c’est pour les vieux aux barbes abondantes et blanches, c’est ce que dit le proverbe : le genou ne porte jamais le chapeau quand la tête est sur le cou. C’est ça les coutumes au village. Mais moi depuis longtemps je m’en fous des coutumes du village, entendu que j’ai été au Liberia, que j’ai tué beaucoup de gens avec kalachnikov (ou kalach) et me suis bien camé avec kanif et les autres drogues dures.

 

… Et cinq… Pour raconter ma vie de merde, de bordel de vie dans un parler approximatif, un français passable, pour ne pas mélanger les pédales dans les gros mots, je possède quatre dictionnaires. Primo le dictionnaire Larousse et le Petit Robert, secundo l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire et tertio le dictionnaire Harrap’s. Ces dictionnaires me servent à chercher les gros mots, à vérifier les gros mots et surtout à les expliquer. Il faut expliquer parce que mon blablabla est à lire par toute sorte de gens : des toubabs (toubab signifie blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d’Afrique et des francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). Le Larousse et le Petit Robert me permettent de chercher, de vérifier et d’expliquer les gros mots du français de France aux noirs nègres indigènes d’Afrique. L’Inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique explique les gros mots africains aux toubabs français de France. Le dictionnaire Harrap’s explique les gros mots pidgin à tout francophone qui ne comprend rien de rien au pidgin.

 

Comment j’ai pu avoir ces dictionnaires ? Ca, c’est une longue histoire que je n’ai pas envie de raconter maintenant. Maintenant, je n’ai pas le temps, je n’ai pas envie de me perdre dans du blabla. Voilà c’est tout. A faforo (cul de mon papa !)

 

… Et six… C’est vrai, suis pas chic et mignon, suis maudit parce que j’ai fait du mal à ma mère. Chez les nègres noirs africains indigènes, quand tu as fâché ta maman et si elle est morte avec cette colère dans son cœur elle te maudit, tu as la malédiction. Et rien ne marche chez toi et avec toi.

 

Suis pas chic et mignon parce que suis poursuivi par les gnamas de plusieurs personnes. (Gnama est un gros mot nègre noir africain indigène qu’il faut expliquer aux Français blancs. Il signifie, d’après Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, l’ombre qui reste après le décès d’un individu. L’ombre qui devient une force immanente mauvaise qui suit l’auteur de celui qui a tué une personne innocente.) Et moi j’ai tué beaucoup d’innocents au Liberia et en Sierra Leone où j’ai fait la guerre tribale, où j’ai été enfant-soldat, où je me suis bien drogué aux drogues dures. Je suis poursuivi par les gnamas, donc tout se gâte chez moi et avec moi. Gnamokodé (bâtardise) !

 

Me voilà présenté en six points pas un de plus en chair et en os avec en plume ma façon incorrecte et insolente de parler. (Ce n’est pas en plume qu’il faut dire mais en prime. Il faut expliquer en prime aux nègres noirs africains indigènes qui ne comprenne rien à rien. D’après le Larousse, en prime signifie ce qu’on dit en plus, en rab.)

 

Voilà ce que je suis ; c’est pas un tableau réjouissant. Maintenant, après m’être présenté, je vais vraiment, vraiment conter ma vie de merde de damné.

 

Asseyez-vous et écoutez-moi. Et écrivez tout et tout. Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses. Faforo (sexe de mon papa) !

Publié dans Livres

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